Karim Essemiani, fondateur de GwenneG : « Ne me parlez pas de racines bretonnes, parlez-moi de feuilles ! »

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Karim Essemiani, fondateur de GwenneG : « Ne me parlez pas de racines bretonnes, parlez-moi de feuilles ! »

Avec sa plate-forme de financement participatif, Karim Essemiani nous aide à financer nos projets d’entreprise. Mais aussi à devenir des « consomm’acteurs », et à élargir nos horizons…
Quand est née l’entreprise Gwenneg et combien êtes-vous à y travailler ?

GwenneG a été créée en janvier 2015 et la plateforme a été lancée 6 mois plus tard. Il y a maintenant 6 personnes dans la structure, dont 4 salariés.

Qu’est-ce qui vous a amené à créer Gwenneg ?

J’ai eu l’idée de GwenneG pour réagir à une situation que je trouve inacceptable, et dont j’ai fait concrètement l’expérience : la difficulté pour les entrepreneurs à trouver des investisseurs. En 2012, nous sommes venus avec ma femme et mon fils nous installer en Bretagne. Je venais travailler pour la BCI (Bretagne Commerce International). J’accompagnais les entreprises étrangères voulant s’implanter ou investir en Bretagne. Mais je passais de plus en plus de temps à aider des entreprises bretonnes qui souhaitaient faire de l’export ou se développer et qui n’y parvenaient pas faute de financement. Je voyais de bonnes idées qui ne pouvaient se concrétiser faute de trouver des investisseurs !

Vous aviez déjà une expérience de la création d’entreprise ?

Pas du tout, je n’avais au départ pas spécialement la fibre entrepreneuriale, créer une entreprise n’était pas du tout dans mes objectifs ! Je suis né et j’ai fait mes études d’ingénieur en Algérie, et suis venu passer mon doctorat à Toulouse. J’ai travaillé pendant 15 ans comme directeur commercial à l’international d’un grand groupe (Veolia), ce qui m’a amené à beaucoup voyager, en Asie, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis, où j’ai vécu pendant 5 ans. Tout cela a été pour moi une expérience très formatrice et très riche humainement.

Comment vous êtes-vous préparé à ce virage de la création d’entreprise ?

Tout d’abord, j’ai repris mes études, en 2014. C’était en formation continue, le vendredi soir et le samedi. J’habitais à Bruz (et c’est toujours le cas), et travaillais pour la BCI. J’allais tous les week-end à Paris, et travaillais 4 heures le soir en plus de mon travail.

Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai préparé un Executive MBA à HEC. Cela a été un gros sacrifice, à tout niveau ! Sur le plan familial, personnel et financier, car ce sont des formations qui coûtent très cher.

Ensuite vous vous êtes tourné vers des financeurs ou des partenaires ?

Avant cela, j’ai d’abord contacté les leaders nationaux des plateformes de financement participatif, car je pensais pouvoir les déployer en Bretagne. Mais j’ai vu que ce n’était pas une bonne idée. J’ai décidé de créer une plateforme de crowdfunding spécialement dédiée à la Bretagne. J’ai obtenu des partenariats avec le réseau Entreprendre, la marque Bretagne, le Conseil régional, des sociétés de capital risque, le Comité création-reprise… Et il y a eu une première levée de fond en juin 2015.

Comment connaissiez-vous la Bretagne avant de venir y travailler en 2012 ?

J’ai découvert la Bretagne il y a un peu plus de 20 ans, grâce à mon épouse qui est finistérienne. J’y venais régulièrement l’été, pour des vacances, mais dans mon esprit c’était compliqué d’y trouver du travail. Comme beaucoup, je suis attaché à cette région, et suis heureux de pouvoir y travailler car elle offre une grande qualité de vie. Mais pour cela il faut soutenir le développement économique en Bretagne, et c’est ce que j’ai voulu faire en créant GwenneG.

Comment définissez-vous le financement participatif ?

Le financement participatif ou crowdfunding c’est le « financement par la foule » : une personne ou une entreprise qui a un besoin de financement se fait financer par d’autres personnes. On peut distinguer trois modes de financement : premièrement le don (ou bien le « don contre don » (il y a une contrepartie, et en quelque sorte on « pré-achète » un produit) ; deuxièmement le capital (je deviens un investisseur en entrant dans le capital de l’entreprise) ; troisièmement le prêt, comme le font les banques. GwenneG propose les trois solutions de financement.

 

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De plus en plus de gens se tournent vers le crowdfunding pour financer leurs projets, cela devient donc de plus en plus difficile de « sortir du lot », non ?

Le crowdfunding est entré dans les mœurs en très peu de temps ! C’est un secteur qui s’est extrêmement et rapidement démocratisé. Pour vous en donner une idée en 2010, il y a eu environ 7 millions d’euros collectés en France par ce moyen ; en 2015, plus de 297 millions ! Cela veut dire que les porteurs de projet doivent maintenant « mouiller le maillot », valoriser leur produit, et ne pas relâcher leurs efforts pour aboutir. Une campagne est un peu comme un marathon. Il ne faut pas partir en se disant « Je fais partie d’un réseau et tout le monde va m’aider ! », ça ne marche pas comme ça. Notre plateforme GwenneG offre justement un accompagnement, des formations, un coaching ! Mais malgré son succès, on est encore dans une phase « d’évangélisation » de ce mode de financement : nous devons le faire connaître beaucoup mieux.

Quelle est la spécificité de GwenneG par rapport aux autres plateformes de financement participatif ?

Il y en a plusieurs, d’abord, on propose 3 formes de financement, comme je vous l’ai dit ; ensuite on ne s’adresse qu’aux projets économiques (pas aux projets associatifs) ; enfin les projets doivent avoir un lien avec la Bretagne (en incluant la Loire-Atlantique). Les projets viennent le plus souvent d’entreprises basées en Bretagne, mais on ne regarde pas que la localisation géographique, il faut que les projets aient du sens par rapport au territoire breton.

Est-ce que tout le monde peut devenir prêteur ou donateur ?

Oui parce que le ticket d’entrée est très bas ! Vous pouvez être contributeur à partir de 5 euros, vous pouvez être prêteur à partir de 20, investisseur à partir de 100 euros. Le but est vraiment de faire connaître à monsieur Tout-le-monde la possibilité de soutenir le développement économique du territoire. Que les gens deviennent « consomm’acteurs » !

Qu’est-ce qui peut encourager à devenir prêteur ?

Le prêteur, en aidant une entreprise bretonne à se financer, fait un geste « socialement responsable ». Et le prêt va lui rapporter entre 4 et 9% de taux d’intérêt. Bien plus que le livret A !

Toutes les entreprises peuvent postuler pour lancer leur campagne chez vous ?

Oui, toutes les entreprises – créées ou en phase de création – peuvent s’adresser à nous. On examine tous les projets et si nécessaire on sert aussi de relais vers les réseaux Initiatives, les réseaux Entreprendre, les CCI. Avant de lancer une campagne on procède d’abord à une sorte d’audit – plus ou moins détaillé et important en fonction de la taille du projet. On évalue le produit et la capacité du porteur de projet à tenir ses objectifs et à honorer ses contreparties. L’idée est aussi de ne pas berner les contributeurs et de créer un climat de confiance.

Quel est le premier conseil que vous donnez aux porteurs de projet ?

Tout d’abord nous les invitons à voir la campagne de crowdfunding comme un vrai test « grandeur nature » ! Le financement participatif doit permettre de voir si mon projet ou mon produit plaît, s’il y a des clients pour ça, et de mettre à l’épreuve mes propres capacités à conduire et concrétiser mon projet, à convaincre, à vendre ! Si le chiffre d’affaires est difficile à faire à un petit niveau, il le sera aussi à une plus grande échelle. Quand on démarre une campagne de crowdfunding, on touche facilement le premier cercle (les amis, la famille) et le deuxième (le voisinage et toutes nos relations), mais l’idéal est aussi de convaincre le troisième cercle, les gens qui ne nous connaissait pas. On n’est pas que dans la bienveillance, comme dans le projet associatif.
« Dans le système actuel, quand vous êtes une femme, vous avez beaucoup moins de chance de trouver des investisseurs ou des prêteurs que si vous êtes un homme. Le crowdfunding chez GwenneG permet de dépasser ces discriminations, de démarrer et tester son projet, concrètement ! »
La communication via les réseaux sociaux est aussi un critère de réussite important dans ces campagnes ?

Oui, c’est pourquoi GwenneG propose un accompagnement pour utiliser les réseaux sociaux, du début à la fin de la campagne. Mais aussi pour formuler ses idées, trouver quelles contreparties donner, et un coaching tout au long de la campagne. Et ça marche, puisque chez GwenneG nous avons un taux de réussite supérieur à 93 %. En comparaison, les taux de réussite moyens en France sur des campagnes de prévente (en don contre don) est de moins de 60 %. Cela dit l’échec d’une campagne peut être enrichissante si on en tire les leçons !

En quoi est-ce important de bien choisir ses contreparties ?

C’est très important car elles peuvent constituer une prévente. Elles doivent présenter le projet. Si des clients ont pré-acheté mon produit, cela pourra aussi m’aider à convaincre un banquier ou un investisseur… Les gens qui font un don vont constituer les premiers clients de la future entreprise.

Expliquez-nous ce que sont les Crêpes Pitch ?

Les Crêpes Pitch, et les Galettes-saucisse Pitch, ce sont des rendez-vous que nous organisons une fois par mois, où les porteurs de projet peuvent rencontrer le public. Il y en a eu quatre l’an dernier, et cela marche super bien. A Rennes par exemple, 80 personnes sont venues rencontrer 4 porteurs de projets. Il y a des questions-réponses avec le public, et de vrais échanges. On termine par crêpes ou galettes et bolée de cidre. Là on est une vraie plateforme de proximité, on n’est plus dans le virtuel ! Notre but est d’en faire dans chaque grande ville bretonne.

Vous qui ne pensiez pas du tout devenir entrepreneur, comment vivez-vous ce nouveau statut ?

Je gagnais très bien ma vie chez Veolia, mais l’argent ne fait pas le bonheur. Travailler c’est bien mais il faut que ça donne du sens. GwenneG donne du sens, pas seulement à moi mais à beaucoup de personnes. Mais nous faisons aussi face à la réserve des acteurs institutionnels. Créer une entreprise en France, c’est très compliqué ! Dans notre pays on imagine les chefs d’entreprise comme des gens gagnants très bien leur vie, ou qui s’enrichissent sur le dos des salariés. Ce qui est rarement le cas, car créer une entreprise c’est avant tout beaucoup de sacrifices, donc il y a parfois une certaine frustration ! Heureusement, GwenneG est sur la bonne voie – même si on reste très vigilants. Et il y a une très belle histoire qui s’écrit en ce moment. Notre entreprise a reçu une recommandation par l’autorité des marchés de faire une levée de fonds rapidement. Des hommes et des femmes du territoire se sont mobilisés pour nous aider (plus une centaine de personnes ont donné 1000 euros chacun). Cela nous donne une assise financière mais surtout une légitimité !

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le fonctionnement interne de la start-up GwenneG ?

Il est peut-être assez loin du cliché des start-up ! J’ai un parcours un peu atypique. J’ai maintenant 44 ans, j’ai passé 15 ans dans un grand groupe et principalement à l’étranger, je suis formaté en gestion de projets… Et j’ai aussi acquis pas mal d’expérience de mes « erreurs » passées ! La gestion d’une start up avec un esprit « tout est cool », ne fonctionnerait pas, nous sommes aussi un centre de profit ! Notre entreprise a des processus internes, sans pour autant tomber dans la rigidité et l’inertie qui handicape les grands groupes. L’avantage d’être une petite entreprise, c’est qu’on peut facilement intégrer les retours d’expérience des différentes campagnes et adapter ou enrichir notre offre. Et les collaborateurs travaillent en toute autonomie, en proposant des pistes de développement, de réflexion, des plans d’action.
Peut-on dire que les Bretons sont entreprenants ?

Oui, la région Bretagne se place 5ème en termes de propriété intellectuelle. Les Néo-Bretons sont entreprenants et fiers de leur territoire. Pour moi la Bretagne est riche de sa diversité, de son excellence et de son système éducatif. Nous subissons actuellement des mutations violentes, comme dans l’agriculture, et en même temps on voit la naissance de nouvelles filières, comme le numérique, la mer, les biotechnologies… toutes ces mutations présentent de vraies opportunités.

Qu’appelez-vous les Néo-Bretons ?

Tous ceux qui vivent en Bretagne et aiment cette région, qu’ils soient d’origine bretonne ou non, nés en Bretagne ou pas. Quand on me parle de la Bretagne, je dis souvent : « Ne me parlez pas des racines, parlez-moi des feuilles ! » La Bretagne ne doit pas être que « la terre de mes ancêtres », mais aussi « la terre de mes enfants » ! Autrement dit on ne nait pas Breton, on le devient !
Parlez-nous un peu de vous, quelles sont vos activités en dehors du travail ?
Le lancement d’une entreprise exige beaucoup de temps et d’énergie ! Le peu de temps qu’il me reste, je le consacre à ma famille. J’ai passé un contrat avec ma femme, et j’espère bientôt pouvoir me libérer plus de temps ! Pour aller écouter un concert de jazz, par exemple ! J’étais jusqu’à l’année dernière éducateur bénévole du club de rugby de Bruz, et je fais aussi partie du conseil d’administration de l’antenne rennaise de la Fondation Agir contre l’Exclusion. J’ai eu la chance d’évoluer dans un milieu privilégié, mais pour moi c’est important de m’engager et de rester proche des gens.

Vous-même avez-vous déjà ressenti un sentiment d’exclusion ?

La question ne s’est jamais posée pour moi. Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup, et j’ai toujours appris que seule l’excellence prime. On m’a toujours appris à me prendre en main ; à ne pas regretter ce qu’on fait ou ce qu’on ne fait pas. On ne naît pas en ayant une connaissance fine de tout, on apprend de ses erreurs !

Qu’avez-vous retenu de vos voyages ou de votre vie aux Etats-Unis ?

J’ai une vraie culture anglo-saxonne et ma femme et moi avons particulièrement aimé la vie aux Etats-Unis. Là-bas, les gens sont très modestes et accessibles. On est dans des relations humaines très saines, et dans le travail il y a peu d’occasions de conflits. En France on est dans une société très corporatiste, élitiste, et pyramidale. On aime bien dire de quelle école on vient, alors qu’aux Etats-Unis on aime bien dire ce qu’on sait faire ! C’est pourquoi je mets très peu en avant mes diplômes.

La plateforme GwenneG a accueilli la première campagne de crowdfunding de Femmes de Bretagne. Quel conseil donnez-vous aux femmes qui souhaitent entreprendre ?

GwenneG a été honoré que ce réseau féminin nous choisisse ! Dans le système actuel, quand vous êtes une femme, vous avez beaucoup moins de chance de trouver des investisseurs ou des prêteurs que si vous êtes un homme. Le crowdfunding chez GwenneG permet de dépasser ces discriminations, de démarrer et tester son projet, concrètement !

Pour en savoir plus sur GwenneG, rendez-vous sur leur site web ou encore leur page Facebook
Une interview de participant à la campagne de crowdfunding de Femmes de Bretagne
menée par Marie-Hélène Siran de Ma griffe et ma plume et Plume pour Femmes de Bretagne à retrouver sur le site Femmes de Bretagne 

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